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Cinquième Colonne
23 septembre 2015

Raphaël Enthoven veut tous nous convertir au Charlisme, la nouvelle religion d'état

Raphaël Enthoven se présente comme un "philosophe", et officie notamment sur Europe1 et France Culture.

Comme tout bon membre de l'élite politique et médiatique, Raphaël Enthoven n'aime pas que des gens refusent "d'être Charlie"... Il est donc un prosélyte zélé du "charlisme", cette nouvelle religion d'état prêchée par le gouvernement et l'essentiel des élites de ce pays. Dans sa chronique sur Europe1 du 16 septembre 2015 par exemple[1], Enthoven s'en prend violemment aux blasphémateurs qui refusent "d'être Charlie" comme on leur commande.

Pourquoi devrions-nous ainsi nous convertir au charlisme? Enthoven donne cette justification: "Ce que ce journal représente, c'est la liberté elle-même".

Face à une telle ineptie, il est bon de relire Olivier Cyran, qui a travaillé à Charlie Hebdo, contrairement à Raphaël Enthoven. Olivier Cyran a vécu de l'intérieur le comportement despotique de son patron Philippe Val envers quiconque sortirait de sa ligne éditoriale, ou le contesterait. Je publie ici un extrait d'un article d'Olivier Cyran paru dans CQFD en février 2006:

La liberté d’expression réside précisément dans le droit reconnu à chacun de l’accommoder à sa propre sauce, fût-elle pleine de grumeaux. L’ennui, c’est que ce droit si abondamment étalé par le directeur de Charlie Hebdo ne vaut que pour lui-même et ceux qui pensent comme lui. Ses ex-collaborateurs à Charlie en savent quelque chose : en cas de divergence, l’esprit des Lumières vire subitement au despotisme pas du tout éclairé.

Exemple : le chroniqueur Philippe Corcuff, « poussé vers la porte de sortie » après trois ans de loyaux services. Bien que partageant l’essentiel des lubies valiennes, et en dépit d’une élasticité idéologique qui lui permet d’aller de Bayrou à Krivine sans se déchirer un tendon, Corcuff a en effet fini - un comble ! - par passer pour extrémiste aux yeux de son employeur. Dans un communiqué publié le 3 décembre 2004, le sociologue revient sur l’un des désaccords qui ont motivé son départ :

« Recourant à des amalgames répétés entre l’islam comme religion, les différents courants de l’islam politique, l’intégrisme et le terrorisme, Charlie Hebdo - hormis quelques courageux résistants de la nuance et de la complication - s’est inscrit dans une croisade de la Civilisation (“européenne”) contre la Barbarie (“musulmane”). Dans cette perspective, on a été jusqu’à publiciser une fausse rumeur à propos du Forum Social Européen de Londres, où on a fait de ceux qui ne participaient pas à la nouvelle croisade (comme la LDH) des “alliés objectifs” des intégristes islamistes, en remettant ainsi à l’honneur une formule d’origine stalinienne. »

Pas d’accord ? Dehors !

Un an plus tôt, c’était le critique ciné Michel Boujut qui mangeait le bouillon pour cause d’hérésie. Dans un texte diffusé en mars 2003, il s’interroge :

« Opération épuration. Pfuitt... à la trappe ! [...] Je me pose une seule question, naïve comme toutes les vraies questions : peut-on être à la fois homme de morale (exigeante) dans ses éditos et homme de pouvoir (discrétionnaire) dans son “traitement des ressources humaines” ? Faire la leçon aux autres et se comporter comme ceux à qui on fait la leçon à longueur de colonnes ? Toujours cette foutue histoire de la paille et de la poutre. »

Fin 2000, Mona Chollet avait été virée elle aussi pour délit d’opinion : lors d’une réunion interne, elle avait osé contester un édito de Val qui qualifiait les Palestiniens de « non-civilisés ». « Il est tellement ignorant des autres cultures qu’il n’imagine pas qu’on puisse être “civilisé” autrement qu’en lisant Spinoza avec ses chats sur les genoux », dit-elle :

« Quelques jours après, il m’a convoquée, et il m’a annoncé qu’il arrêtait mon CDI après le mois d’essai, alors que j’étais pigiste depuis un an. Ça m’a sidérée. Il ne m’a pas dit pourquoi, mais ça crevait les yeux. Finalement il m’a dit : “je ne suis pas sûr que tu sois en accord avec la ligne que je veux donner au journal”. Je suis encore restée à Charlie quelque temps, mais en tant que pigiste, c’est-à-dire moins en position d’ouvrir ma gueule. »

Dans la ligne, le maquettiste Pierre-Yves Marteau-Saladin l’était lors de son embauche à Charlie. Croyant détecter en lui un serviteur de confiance, Val lui confie la mission secrète de moucharder les salariés suspects de dissidence et de lui rapporter leurs propos. C’est du moins ce que racontera le maquettiste une fois viré, écœuré par « l’état d’autocratie que Val a instauré ». Apparemment, l’indic n’a pas donné satisfaction.

« La liberté d’expression n’est pas négociable », bonimente Val à la télé. C’est vrai, à quoi bon négocier avec ses contradicteurs quand il suffit de s’en débarrasser ? 

 (Source: Olivier Cyran, L'opinion du patron, CQFD, février 2006, texte intégral disponible en note [2])

 

Puis il y a eu le licenciement de Siné, viré pour ses propos, ce qui a valu à Charlie Hebdo une condamnation en justice pour licenciement abusif. Et depuis le départ de Philippe Val, les choses ne se sont guère arrangées: il y a quelques mois, Charlie Hebdo a voulu faire censurer le magazine pastiche Charpie Hebdo, comme l'a rapporté la presse.[3] Car si Charlie aime rire d'autrui, Charlie ne supporte pas qu'on le moque ou le pastiche...

 

Bref, si c'est ça le modèle "libertaire" de Raphaël Enthoven, on est mal barré...

 

 

[1] http://www.europe1.fr/emissions/la-morale-de-linfo/je-ne-suis-pas-charlie-cest-combattre-pour-son-propre-esclavage-comme-sil-sagissait-de-sa-liberte-2515529

[2] http://lmsi.net/L-opinion-du-Patron

[3] http://www.francetvinfo.fr/economie/medias/charlie-hebdo/quand-charlie-hebdo-veut-faire-interdire-charpie-hebdo_828099.html

 

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